jeudi 29 octobre 2015

Notre petite sœur (Hirokazu Kore-eda, 2015)

Dans les films d'Hirokazu Kore-eda qui parlent de l'enfance, la douceur est proportionnelle à la cruauté de la situation vécue. Une mère qui laisse le frère aîné s'occuper de ses petits frères et sœurs dans Nobody knows (2004), deux frères séparés qui veulent se retrouver à mi-trajet dans I wish (20011), deux garçons échangés à la maternité qui retrouvent leur famille d'origine dans Tel père tel fils (2013) et trois sœurs qui accueillent leur demi-sœur jamais rencontrée dans Notre petite sœur. La jeune Suzu (Suzu Asano), 15 ans, qui vit à la campagne se retrouve orpheline de père. Ce dernier avait quitté le foyer familial et abandonné ses trois autres filles pour une autre femme, décédée depuis. Le père s'étant remariée, la sœur aînée Sachi (Haruka Ayase) propose à Suzu de venir habiter dans la vieille maison familiale, où « il fait bon vivre l'été mais qui est bien froide l'hiver ».

Les quatre sœurs ont évidemment des caractères bien différents. Sachi est infirmière, elle reproduit le schéma paternel puisqu'elle sort avec un homme marié, par ailleurs le médecin pour lequel elle travaille à l'hôpital. La deuxième Yoshino (Nagasawa Nasami) est guichetière dans une banque. Elle se laisse toujours avoir par les garçons qui n'en veulent qu'à son argent. Très coquette, elle pique les fringues de Sachi. La troisième Chiko (Kaho) bosse dans un magasin de sports tenu par un gentil gars aux cheveux crêpés. Un peu garçon manqué, mais la tête sur les épaules. Ses deux sœurs ne comprennent pas son choix de vie, ni ses étranges goûts amoureux. Pourtant, c'est elle qui s’avérera avoir la vie la plus normale des trois. Comme l'annonce Chiko à Suzu, les frangines se chamaillent souvent, mais elles font front quand tout va mal. Et ce qui va mal dans cette vieille maison de la campagne japonaise, c'est d'être seuls ensemble.

Pour ne pas être seules, les filles se rappellent quelques souvenirs familiaux. Elle regardent des photos de ce père (photos que nous ne verront jamais). Chiko confesse n'avoir presque plus aucun souvenir de lui. Quand la mère des trois sœurs vient faire une visite, toute la rancune de Sachi peut s'exprimer, elle tient sa mère responsable du départ de son père. Les souvenirs reviennent aussi en mangeant les maquereaux frits, les gâteaux de haricot rouge ou cette tartine faite à partir d'algues que Suzu est allée pécher elle-même et que son père lui préparait jadis, ce ragoût au curry que prépare Chiko pour Suzu, certaine qu'elles ont le même goût culinaire. On mange beaucoup, souvent à la maison et aussi dans le restaurant du coin, centre névralgique du souvenir commun mais qui menace de fermer. Il symbolise ce passé qui doit s'évanouir au fur et à mesure que les saisons passent.

Les quatre sœurs se transforment au contact les unes des autres. Suzu, en tant que personnage principal, est au centre de cette transformation, telle la quadrature du cercle. Elle doit refaire sa vie. Au lycée, elle se lie d'amitié avec Futa (Ohshirô Maeda), un lycéen, et intègre l'équipe de foot. Quand elle marque son premier but, ses sœurs célèbrent cet événement avec de la liqueur de prunes maison. Futa lui fait découvrir ce qui deviendra ses prochains souvenirs : une randonnée en vélo sous un tunnel de cerisiers en fleur (beau moment), une virée en mer pour observer les feux d'artifice (autre beau moment). La douceur de Notre petite sœur pourrait être vue comme de la mièvrerie. Elle est apaisante et revigorante évoquant les films campagnards de Mikio Naruse dans une volonté de renoncer à tout sensationnalisme. Ce sont les petits rien qui font les grands touts.

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