lundi 10 août 2015

Othello (Orson Welles, 1952)

Je parle rarement de la revue Positif mais je recommande toujours la lecture du long texte sur Othello dans le numéro double 449/450 de l'été 1998. Jean-Pierre Berthomé relate la longue fabrication et tournage du film d'Orson Welles. Cela s'étalait sur 3 années sur deux continents, entre le Maroc et l'Italie avant que Othello ne décroche en 1952 la Palme d'or à Cannes. L'histoire est chaotique, bouillonnante, complètement dingue quand on songe à l'énergie déployée par Orson Welles pour mener à bout son projet. Il n'avait pas sorti de film depuis 4 ans, une éternité et a fait l'acteur pour financer son film.

Avant le court générique de début qui consiste en deux cartons, le titre du film « The Tragedy of Othello, the moor of Venice » sans la mention de Shakespeare et une indication qui plante le décor et la situation, le film commence avec un long prologue qui lance le flash-back. Dès le début, on sait que Othello (Orson Welles) et Desdémonde sont morts (Suzanne Cloutier), chacun sur un gisant que des hommes portent à bout de bras. La solennité ne sera jamais dérangée par aucun dialogue mais une musique lugubre se fait entendre dans un noir et blanc contrasté par les angles droits dans un montage toujours très rapide.

Toujours dans ce prologue qui conclut en avance la tragédie, Iago (Micheál MacLiammóir) est mené dans un cage suspendue, sans doute en attendant sa pendaison ou son procès. Iago est le coupable de la mort des deux époux vénitiens. Il le sait et la foule court à sa perte. Le regard affolé du traître qui a semé la suspicion dans le cœur et l'âme de son maître Othello, ces fameux « monstre aux yeux verts », la jalousie qu'il crée en faisant croire à Othello que Desdémonde le trompe. Cela est tout le complot du film, depuis cette première scène sur les canaux de Venise où les deux amoureux roucoulent sur une gondole.

Le film passe des canaux en plein jour, un moment extrêmement romantique diurne, léger, jovial aux intérieurs sombres, de plus en plus sombres d'ailleurs jusqu'à ce visage totalement englouti par la nuit, donc la mort, d'Othello. Jamais Orson Welles n'a été aussi beau que dans ce film, jouant les amoureux romantiques avec la fille d'un édile de Venise. C'est là que Iago, un laideron, fou de jalousie, fou de pouvoir, décide de son plan pour faire chuter Othello. Cette double image de l'homme, le beau et le laid qui s'affronte, c'est ce qui touche le plus dans le film, puis comment Othello transforme son visage, l'emplit de colère et de haine.


Des trois films d'après William Shakespeare, après Macbeth – œuvre désespérément bancale – et Falstaff – comédie débridée mais sinistre – Othello est le plus beau et cette beauté est due à l'inventivité pour se dépêtrer des embûches de ce tournage. Manque d'argent, manque de costumes, manque de temps, Berthomé raconte qu'un champ a été tourné au Maroc et que son contre-champ en Italie un an plus tard. Pourtant on ne devine pas un instant cela, le rythme est délirant, le nombre de plan exceptionnellement élevé. Tout coule dans cette tragédie avec ces cadres contradictoires, ces plafonds visibles, ces faux raccords délirants et surtout les ombres, c'est d'une incroyable beauté.















































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