vendredi 17 juillet 2015

Zu warriors from the magic mountain (Tsui Hark, 1983)


Chacun a son film de Tsui Hark préféré et c’est tant mieux, mais Zu les guerriers de la montagne magique est sans doute le plus irréductible à toute explication, celui qui est un spectacle total, poétique et pur, en tant qu’il vaut mieux le voir dans de bonnes conditions (en VO, si possible sur grand écran) pour en apprécier la saveur et sans doute pour en comprendre les rouages et les enjeux. Zu les guerriers de la montagne magique est un film d’apparence complexe mais qui se laisse prendre au bout de quelques visions. Son explication est donc promise à celui qui voudra bien l’atteindre. Déchiffrer les aventures des personnages de Zu les guerriers de la montagne magique est en soir une gageure mais cela devient rapidement la seule manière de comprendre le film et d’en faciliter l’accès. Zu les guerriers de la montagne magique est un film parfait parce qu’il est à la fois d’une grande complexité de prime abord mais qu’il recèle des ingrédients tels que poésie, humour, sensualité, violence, effroi, romance, aventure, honneur et d’autres encore de manière si évidente.

Les personnages donc. Ils sont rarement nommés, tout juste désignés mais chacun aura une fonction précise à laquelle il devra se tenir pour finir l’aventure. Or l’idée géniale de Tsui Hark est de ne pas cantonner ses personnages dans un rôle. Yuen Biao qui est le personnage porteur du récit, celui qui lance le film dans sa rencontre avec Sammo Hung, Yuen Biao donc n’est qu’un soldat qui doit se battre au milieu d’autres soldats. Il a une couleur qu’il n’a pas choisie, pas plus que Sammo Hung, mais il va se battre pour cette couleur. Cette fonction de simple soldat, donc de chair à canon pour un seigneur qu’ils ne connaissant pas, devrait vite amener le récit sur le champ de la mort, mais il suffit d’un détail (Yuen Biao glisse d’une falaise) pour lancer le récit dans une autre direction. Mais Tsui Hark nous avait prévenu dans son prologue que ce récit serait magique, que les montagnes révéleraient de nombreuses chausse-trappes. Ce que dit aussi immédiatement le film, c’est que chaque personnage n’aura d’autres buts que de sauver sa peau de ce monde chaotique dans lequel il est plongé. De toutes parts, des soldats des différents royaumes chinois arrivent dans le plan. Chaque clan a une couleur, c’est assez beau mais c’est troublant puisque c’est drôle et cruel. Des soldats font semblant d’être morts pour ne pas avoir à se battre. Sammo Hung et Yuen Biao croyant bien faire se couchent par terre, mais ils doivent partir dans une autre direction (le lac voisin et le bateau d’un pécheur) puis revenir sur la terre ferme. Les deux hommes se rendent compte qu’ils viennent du même village mais de quartiers différents. Finalement Yuen Biao décide de reprendre le récit seul. Etonnement, cette séquence inaugurale n’aura pas de conséquence sur la suite du récit, si ce n’est dans le final, histoire de boucler la boucle.

Zu les guerriers de la montagne magique commence à la deuxième séquence. Nous avons juste appris que Yuen Biao est solitaire, qu’il sait se battre et qu’il n’a plus de maître. Il vient de tomber d’une falaise et se retrouve dans une grotte. Nous étions en plein jour, avec de nombreux soldats et nous nous retrouvons dans le noir avec des esprits prêts à liquider notre personnage. Les esprits se déplacent dans tous les sens, ils rentrent dans des images jarres et ils ont des yeux verts – ou des lumières vertes - qui les font se distinguer de l’obscurité. Ces esprits n’ont plus rien d’humains et sont maléfiques. Cela semble certain. Yuen Biao va se battre mais contre quoi ? Des ectoplasmes, des formes diaboliques qui se déplacent verticalement quand notre héros avance horizontalement, des esprits qui grimpent aux murs, roulent au plafond en dépit de toutes les lois de la gravitation. La caméra n’a pas besoin de bouger, le cadre peut rester statique puisque les esprits font les travellings à la place. Mais le problème est ailleurs. Comment se battre contre des entités inconnues qui ne laissent aucun répit à Yuen Biao ? Leur cri est effrayant, un râle que l’on dirait enregistré à l’envers. Rien d’humain. Yuen Biao a mal à faire avec les tentacules des esprits, des racines qui s’enroulent autour de ses jambes et menacent gravement sa vie. C’est alors qu’arrive le deuxième personnage de Zu les guerriers de la montagne magique, celui-ci va rester jusqu’à la fin du film. Adam Cheng entre en scène, c’est un chevalier errant, un sifu sans disciple, et il sauve Yuen Biao des monstres. Yuen Biao veut le remercier et lui propose d’être son disciple. Refus. Départ du maître. Arrivée de Damian Lau et de son disciple Meng Hoi, avec sa bouille de gamin. Les deux maîtres s’affrontent sans raison, chacun part de son côté, pour ensuite revenir pour affronter un plus gros démon encore qu’il faut aller chasser dans les montagnes magiques.

Comme chaque fois, le scénario de Zu les guerriers de la montagne magique redémarre avec l’arrivée d’un nouveau personnage et un autre lieu à explorer. Il s’agit cette fois d’un groupe de personnages (ils sont quatre guerriers) et de leur ennemi (un démon). Le film avait commencé avec de nombreuses couleurs qui déterminaient le clan de chaque soldat. Cette fois, les « gentils » seront en blanc et le démon en rouge. Le démon est enseveli de crânes humains mais ce qui étonne est ce code de couleurs qui diverge radicalement puisque le rouge est censé être la couleur du bonheur et le blanc celui du deuil et de la mort. C’est que depuis le début de son film Tsui Hark a décidé de briser tous les codes qui avaient lieu jusqu’alors dans le wu xia pian. Il montre des chevaliers errants et misanthropes qui donnent des conseils peu amènes à leurs disciples. Le sifu de Meng Hoi est à ce titre particulièrement antipathique. Dans un moment de calme d’action, c’est-à-dire un entre deux où la comédie burlesque domine, nos personnages vont déjeuner. Les disciples pêchent le poisson, poisson récalcitrant, ils le font cuire mais Meng Hoi, parce que moine et végétarien, ne peut pas en manger. Il se fera sévèrement engueuler par son maître dans sa tentative de prendre un petit morceau de poisson. Mais l’action burlesque est vite balayée pour arriver au suspense du film. Damian Lau va être empoisonné. Il va falloir aller le sauver. Un autre danger attend les hommes : la femme.

Elle arrive, la femme, sous forme d’apparition, un fantôme rouge – encore une fois. C’est là aussi un démon, c’est en fait une incarnation sexuée du démon au crâne vu précédemment (le code couleur). Elle prend aussi le visage du maître malade. Le maître est moribond, il faut lui prodiguer des soins. Il est étonnant de constater que dans Zu les guerriers de la montagne magique, il est plus facile de transmettre le poison que le savoir. Un maître est malade, un autre va l’aider, mais les prières et les soins prodigués ne sont pas à la hauteur. Il faut donc aller, sur les conseils de Long Sourcil (le deuxième personnage de Sammo Hung – sur le mode burlesque cette fois), voir la Reine des Glaces, incarnée par Brigitte Lin. La femme donc. La beauté chinoise par excellence, comme on l’a souvent dit et que Tsui Hark a sorti d’un anonymat cinématographique. Cette reine des glaces n’apparaît pas au simple mortel, fût-il un sifu, comme par enchantement. Et c’est tout le problème que le maître de plus en plus mauvais état a. Le lieu est gardé par une horde de femmes qui interdit à Yuen Biao et Meng Hoi de rentrer et appeler Brigitte Lin. Un gage leur est donner, maintenir la flamme allumée jusqu’à l’arrivée de la Reine des Glaces. Gageure, car ils vont aller au devant des rets qu’on leur temps.

On ne peut pas dire que Tsui Hark donne le beau jeu aux femmes. Dans ces quatre films précédents, ce n’était pas extraordinaire. Mais il n’est pas misogyne. C’est un cliché de le dire. La femme dans le cinéma de Tsui Hark est une héroïne, ou bien elle n’existe pas. Ici, comme dans beaucoup d’autres de ses films, la femme amène la fiction. Jusqu’à présent dans Zu les guerriers de la montagne magique, la mort était amenée par les hommes ou par le démon déguisée en femme. La Reine des Glaces sera le premier personnage qui enfin produire du bien. Bien entendu, le personnage de Brigitte Lin n’est pas celui d’une femme facile. On l’a vu, elle manie le feu et la glace avec dextérité. Tsui Hark magnifie cependant son actrice. Contrairement aux acteurs masculins, elle n’aura pas de moments burlesques, pas de chasse aux poissons, pas de coups de pied au cul, pas de bruits d’estomac, pas de roulade. Rien que du sérieux pour Brigitte Lin. Sa couleur dominante est le bleu. Tsui Hark propose un magnifique combat entre Brigitte Lin et Adam Cheng, un combat où l’érotisme n’est pas absent, loin de là.

Puis, il suffira d’exterminer le mal rouge. Là, l’autre personnage de Sammo Hung entre en scène et avec lui toute une imagerie qui va à l’encontre de ce que nous avons pu voir jusqu’à présent. Sammo Hung est vêtu d’une grande cape rouge. Comment un homme en rouge peut-il donc combattre le mal ? C’est que dans le reste du film, le démon s’était paru de ces couleurs pour tromper l’ennemi (d’où le coup de la femme aguicheuse). Sammo a de longs sourcils qui lui offrent son patronyme. Tsui Hark profite de la bonhomie de l’acteur pour mettre en scène quelques moments burlesques nécessaires – d’ailleurs la plupart des scènes comiques lui sont échues à lui et à Yuen Biao et Meng Hoi. Enfin Sammo se bat. Il lance des cercles de fer, des miroirs ronds qui aveuglent le mal. Le film était pour l’instant un bel agencement de feu d’artifice, d’effets spéciaux artisanaux d’une grande inventivité, conçus par Tsui Hark et sa toute nouvelle société d’effets spéciaux, mais avec Sammo Hung, c’est encore plus beau. Toute la mise en scène de Tsui Hark a été de faire circuler les personnages autour de Yuen Biao. Dans un mouvement ininterrompu, les cercles se sont accumulés. Des rubans de la Reine des Glaces aux armes des démons en passant par le collier du disciple. Briser le cercle pour mieux poursuivre la fiction. Le film est un mouvement perpétuel passant des plus extrêmes pour mieux divertir.
















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